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les délocalisations

«  Faire entrer la démocratie dans l’entreprise »

Entretien avec Bernard Devert, Membre du bureau de la Fédération des travailleurs de la métallurgie CGT.

Pour chaque délocalisation est invoqué le moindre coût du travail ailleurs. Quels moyens ont les salariés pour faire face à ce dumping social, à l’hémorragie d’activités ? Bernard Devert.

Tout d’abord, il faut poser sur les délocalisations le bon diagnostic. Le dumping social n’est pas une nouveauté. Ce qui a changé, c’est que nous sommes dans une économie mondialisée où les barrières douanières ont disparu. Cela permet aux entreprises et aux grands groupes d’aller dans certains pays à garanties salariales plus faibles et, même s’ils s’en plaignent, d’être les vecteurs du dumping social. Mais la part sociale n’est pas la première raison des délocalisations. Elle représente moins de 20 % du prix d’un produit manufacturé. En France et dans les pays occidentaux, cette part tombe à 6 %, voire 3 % dans certains secteurs comme l’automobile, l’électronique, l’informatique, les télécommunications.

Les délocalisations peuvent correspondre à des stratégies de conquête de nouveaux marchés. 300 millions de Chinois prêts à acheter un téléphone, c’est intéressant et le retour sur investissement est rapide. Ensuite des pays comme Taïwan offrent aux entreprises qui s’installent une fiscalité nulle, parfois même ils payent les machines. Ainsi Flextronics a fermé des usines en France pour aller en République tchèque où des aides publiques lui ont été accordées avant d’annoncer récemment son départ pour l’Asie. Et ces pays accordent la possibilité de rapatrier tous les profits. Les trois quarts de ceux des entreprises du CAC 40 sont faits hors de France, hors d’Europe. Enfin d’autres phénomènes interviennent comme les rapports entre le dollar et l’euro, les fluctuations de la monnaie. 115 milliards d’euros sortent chaque année de France pour aller dans des placements financiers, des rachats d’entreprises, des OPA, généralement aux États-Unis, alors que les salariés américains sont beaucoup mieux payés que les Français. Ces investissements, de même que les dividendes considérables servis aux actionnaires, alimentent une course mondiale au rachat d’actions et une croissance financière externe aux entreprises. Finalement c’est le marché financier qui domine. Donc, même si je ne l’évacue pas, il faut relativiser la question salariale dans les choix stratégiques des entreprises.

Autrement dit, si les salariés français acceptaient de baisser leurs salaires cela n’empêcherait pas les délocalisations ? Bernard Devert.. Tout à fait, et les exemples ne manquent pas. Récemment Opel a décidé de partir d’Allemagne, or, il y a un an sous la pression, les salariés avaient dû accepter de travailler deux heures de plus par semaine, gratuitement. Quelle est l’efficacité des aides publiques ? L’exemple de Flextronics tendrait à montrer qu’elle est limitée : faut-il les maintenir ? Bernard Devert. Les délocalisations permettent au patronat et aux grands groupes de faire pression sur les salariés mais aussi sur les gouvernements pour obtenir des avantages financiers. En quinze ans la part des exonérations de charges offertes aux entreprises est devenue de plus en plus conséquente dans le budget de la France. En 2006 elle va dépasser 23 milliards. Quand on ajoute les fonds publics provenant, sous diverses formes, des conseils régionaux, des conseils généraux, voire des municipalités, on avoisine les 55 milliards, sans oublier encore les fonds structuraux et les fonds européens qui sont considérables. Il faut comparer aux 22 milliards accordés en France à la formation des salariés dont on dit pourtant qu’elle est une priorité. Et on arrose là où c’est mouillé puisque ces fonds publics ne sont pas attribués aux PME mais aux grands groupes qui font des bénéfices. Lorsque l’on fait le bilan, on estime qu’ils ont maintenu autour de 100 000 emplois en France, c’est dire s’ils sont peu efficaces ! Par contre ils contribuent à installer l’idée que les risques doivent être supportés par l’argent public tandis que les entreprises s’approprient les profits.

Alors faut-il supprimer ces fonds publics ? Nous pensons plutôt qu’ils doivent être réorientés. Première proposition : la moitié des 23 milliards prévus dans le budget 2006 pourraient être investis dans la formation, ce qui répondrait à un besoin réel et amorcerait une réorientation. La deuxième proposition concerne leur contrôle puisque tout citoyen a le droit de savoir comment les impôts sont utilisés. Le patronat n’a jamais accepté cette transparence et une des premières mesures du gouvernement actuel a été de supprimer une loi qui l’instaurait. Il faut y revenir : les comités d’entreprise doivent connaître le montant des fonds publics, débattre de leur utilisation. Troisième proposition : constituer des fonds régionaux dans lesquels les fonds publics seraient accompagnés à parité par des fonds privés pour investir dans la recherche, la formation continue ou encore dans les PME qui, soumises à la pression des grands groupes, rencontrent d’énormes difficultés pour améliorer leur savoir-faire, leurs compétences. En enracinant l’entreprise dans la localité, le bassin d’emploi, ces fonds régionaux seraient beaucoup plus efficaces pour l’emploi. La question du pouvoir des salariés dans l’entreprise revient de plus en plus souvent dans les luttes actuelles.

Mais est-ce que les salariés sauraient mieux défendre l’emploi que les patrons ? Bernard Devert. Nous lisons ici et là que le capitalisme ne peut pas continuer comme cela en sciant la branche sur laquelle il est assis. Nous sommes à la veille d’une exigence de revalorisation de l’individu à travers le travail et le collectif de travail qu’est l’entreprise. Retournons donc la question et partons de l’idée que les salariés sont les meilleurs experts de l’organisation et du contenu de leur travail, de sa finalité. Ils doivent donc avoir un véritable pouvoir. Cela passe par le droit à l’information sur l’entreprise, la filière. Aujourd’hui les comités d’entreprise sont saisis uniquement pour voir les conséquences des situations critiques et leur rôle est mis en cause alors qu’il leur faudrait un véritable droit d’intervention, d’expertise, de veto. Ils devraient aussi prendre une dimension nouvelle en rassemblant donneurs d’ordres et sous-traitants dans des comités interentreprises auxquels pourraient participer, pourquoi pas, des responsables politiques représentant certaines collectivités pour faire des bilans, tirer des enseignements, alerter.

Le deuxième aspect du droit à l’information tient à la capacité de faire des propositions alternatives, d’avoir le temps de les faire et la possibilité de consulter des instances extérieures, indépendantes qui aident à la décision. Nous avons besoin d’entreprises qui échappent au carcan des marchés financiers pour définir leur stratégie sur le long terme. Est-ce utopique ? Je ne le pense pas. Les salariés devraient donc intervenir dans la gestion de l’entreprise en permanence et pas seulement en cas de crise ? Bernard Devert. La décision à prendre peut en effet concerner la conquête d’un nouveau marché : doit-elle se faire sur la base d’une délocalisation ou d’une coopération ? Ou encore : comment anticiper les mutations technologiques, un marché qui évolue ? Il faudrait aussi mettre en évidence les coûts cachés des choix stratégiques. Quel bilan des délocalisations, des privatisations ? Quel gâchis social et économique ? On a privatisé Alstom, Alcatel, où en sommes-nous ? Nous avons besoin de le savoir. Mais le patronat, les actionnaires ne veulent pas permettre aux salariés de se réapproprier leur entreprise. C’est une grande bataille. Faire entrer la démocratie dans l’entreprise, voilà tout l’enjeu du syndicalisme de demain au niveau français, européen et international.


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